Un jardin… pour apprendre à regarder !
L’arbre cacherait la forêt. La puissante technique d’inversion de regard conduit à réfléchir à la pertinence du constat que c’est la forêt qui cache l’arbre, et dans la même optique, la prairie qui cache l’herbe ! Oui, en effet, devant tant de profusion le regard risque de balayer l’ensemble sans trouver une motivation à s’arrêter sur un arbre, sur une herbe en particulier. Il y en a tant, en apparence de semblables, que cela ne mérite pas que l’on s’y attarde ! Et voici que l’arbre, que l’herbe sont devenus parfaitement invisibles pour nous. Alors, tentez l’expérience du chasseur immobile. Arrêtez-vous dans la nature, n’importe où, dans l’endroit le plus banal qui soit, et observez longuement ce qui se passe autour de vous. Une petite fleur, un insecte qui grimpe le long d’une tige, un papillon qui passe par là, une pierre aux formes étranges, etc. Il suffit de prendre son temps et d’aller à la rencontre de ce qui est sans chercher quelque chose de soi-disant extraordinaire, et bien vite l’extraordinaire surgit comme une évidence !
Tant de choses à voir, si peu que l’on regarde vraiment ! et de moins en moins. Rilke, déjà, émettait l’hypothèse que le destin de la terre était de devenir invisible, selon un processus en cours de transmutation du visible vers l’invisible. Le temps passé actuellement devant les écrans pour se contenter d’un monde virtuel irait-il dans ce sens ? A noter aussi que le regard humain est avant tout une manière de voir, déterminée par des cadres culturels, historiques qui conditionnent l’étendue de notre perception. Retrouver le regard émerveillé de l’enfant peut être un objectif pour tenter de rétablir nos capacités à voir pour de vrai.
R. Harrison constate qu’il « existe aujourd’hui un gouffre entre la vertigineuse richesse du monde visible et l’extrême pauvreté de la perception que nous en avons. »
Ce constat, ramené au jardin, conduit à pressentir le risque que les visiteurs ne « voient » pas vraiment le jardin ; alors prendre son temps pour débusquer l’extraordinaire de la vie foisonnante dans la banalité apparente d’un jardin un peu sauvage. Un accompagnement peut être utile pour « ouvrir » les yeux : visite guidée, carnet de visite, signalétique, agencements multiples…