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« Regain »
Il faut écouter ce mot, regain, s’enivrer des syllabes en le prononçant : RE… GAIN, le faire sonner comme un musicien… Alors, espiègle, il ne cesse de ricocher en sens insoupçonnés. Un regain, et l’on devine qu’on gagnera deux fois. Et je pense à Molière, dans Dom Juan, pour qui « les commencements ont des charmes inexprimables ». Le regain, n’est-ce pas un commencement qui se donnerait une seconde chance?

Si le regain s’apprécie en amour, en agriculture, il s’épanouit dans l’ivresse.
Le regain, ce sont ces herbes qui poussent et repoussent après les foins du début d’été. L’automne s’ouvrant, ils font l’objet d’une seconde coupe. Riches, grasses et variées, les graminées qui peuplent les herbages de regain nourrissent en grâce les vaches qui paissent. Les laits issus de ces végétaux offrent des arômes frais et soyeux, bien plus : un bel équilibre entre douceurs, acidités et amertumes. Les fromages de ces laits de regain — fruits mûrs — sont parmi les plus prisés pour leur grande qualité de conservation et leurs saveurs subtiles.
Les fruits remontants sont également dits de regain. Ainsi des figues qui frissonnent d’un automne aux chaleurs capricieuses. Les figues se gorgent alors de soleil pour en chérir la tiédeur sucrée. Plus tard, elles la restitueront aux gourmands initiés, cachant en chaque bouchée un flamboiement sacré.
Framboises et fraises aussi, telle la Reine des vallées, variété ancienne qu’on trouve en fin de printemps pour renaître loin de mai, quand l’été flirte avec l’automne. Ces fruit portent une incroyable et fragile saveur qui n’est pas sans évoquer un autre regain. Celui du corps qui, avant de s’éteindre, donne tout une dernière fois, à l’égal de la flamme d’une bougie qui s’envole en prodige de lumière avant de caresser l’obscurité.

Nous voilà au-delà des puissances de vie. Le regain joue avec les terres de la mort, il en mord la frontière pour célébrer l’ultime éclat du vivant.

Le regain est tel un voile qui couvre le sol avant l’hiver. Il le protège tout autant qu’il en épouse la forme future.
Mais en hiver, rien ne meurt, la vie se replie simplement, du sol au sous-sol. Le regain protège cette fuite et en jouit pour offrir une seconde chance au vivant avant qu’il ne conquière le sous-terre. Il salue son repli dans les formes racinaires et tuberculaires et se fait passeur. Goûtez donc aux regains, vous verrez, ils ont des charmes inexprimables : ceux d’une vie qui n’en finit pas d’être vie.
Par le chef de cuisine Bruno Verjus.
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25 juin 2018 ·

By Gerard