« …. Nous devons imposer des limites à nos activités quand elles menacent la nature car si rechercher plus de confort est une aspiration légitime, elle n’excuse pas la prédation sans mesure de ressources vitales. La Cour Suprême colombienne en mai 2018 nous montre comment procéder. Interpellée par 25 jeunes sur la déforestation galopante de l’Amazonie dans le pays, de ses conséquences sur le climat et par ricoché sur leurs droits fondamentaux, elle a créé une jurisprudence innovante en reconnaissant deux nouveaux sujets de droit : les générations futures et les écosystèmes. Les juges colombiens n’ont ainsi fait aucune distinction entre inégalités sociales et environnementales ; la Cour l’a exprimé ainsi : « la solidarité et l’environnement sont reliés, jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus qu’un ».

La décision colombienne propose une vision écosystémique du monde, voire holistique à l’image de celle des peuples premiers pour qui toute population qui vit sur un territoire donné est l’un des éléments d’un écosystème local dont il doit garantir la pérennité s’il veut lui-même survivre ; une population appartenant à un territoire et non l’inverse. C’est en ce sens que la Terre est perçue par ces peuples comme une mère à laquelle l’humanité est reliée dans un rapport de réciprocité et d’amour. La Terre ne peut nous appartenir, elle s’offre à toutes les créatures qu’elle porte. En langage scientifique, nous pouvons démontrer que l’écosystème Terre est une somme supérieure à la somme de ses parties. Quand on ne perturbe pas ses systèmes et sous systèmes écologiques, qui sont en lien les uns avec les autres, son fonctionnement devient optimal et résilient et permet la vie. Pour les sociétés traditionnelles, le droit occidental doit intégrer cette réalité biologique et reconnaître les droits de la Terre-Mère. En suivant cette sagesse ancestrale, chacun d’entre nous pourrait alors incarner une vision du monde plus égalitaire dans le sens où chacun serait reconnu dans sa fonction vitale au sein de la communauté de vie et chacun saurait qu’il est nécessaire aux autres.

Concrètement, il s’agirait alors de permettre aux autres éléments de la nature d’être en justice pour défendre, par représentation, leurs droits inaliénables à exister, se régénérer et s’épanouir, leur droit à jouer leur rôle pour le maintien de la vie sur Terre. Nous pourrions alors jouer nous aussi notre propre rôle, non pas celui d’asservir qui conduit à notre perte, mais de protéger et célébrer la vie sur Terre, en bons jardiniers. »
Valérie Cabanes

L’intégralité de cet « édito invité » par Valérie Cabanes, juriste en droit international, est à découvrir dans Regain magazine, actuellement en kiosques et Relay.

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Regain Magazine – 5 janvier 2019 ·

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