On dit que le roi Salomon, un jour qu’il était las des prestiges du monde,
s’en alla méditer sans femme ni guerrier dans le vaste désert.
Or, comme il cheminait à longs pas dans le sable, le front penché, l’esprit
paisible, au bout de sa sandale il vit une fourmi.
Elle marchait comme lui,
elle aussi tête basse, indifférente à tout, têtue comme au labour, refusant
l’abri des cailloux, la halte au frais des herbes rares.
Salomon, la voyant si brave et obstinée, se pencha sur elle. Il lui dit :
« Où vas-tu donc, petite soeur ? »
Elle répondit : « Grand roi, ne me retarde pas. Je cours où mon âme m’appelle, à la poursuite des gazelles. »
« Amie, lui demanda le roi, connais-tu ces bêtes divines ? »
« Hélas non, répondit la bestiole pressée, mais j’ai vu leurs ombres passer, et j’en fus tant bouleversée que je ne peux vivre sans elles. »
Le roi des rois s’agenouilla, la prit sur le bout de son doigt, sourit, lui dit enfin : « Comment peux-tu rêver en rejoindre quelqu’une ? Elles vont droit comme l’oeil à travers le désert, elles franchissent d’un saut la dune que tu escalades en cent jours. A suivre leurs sabots tu tomberas bientôt dans une empreinte creuse et la brise qui tout efface, peut-être t’enfouira dedans. Quitte tes illusions, pauvre amie valeureuse, et retourne à la fourmilière que tu n’aurais pas dû quitter. »
« Je sais, ô roi des rois, que la raison t’inspire, répondit la fourmi. Mon pas est court, ma vie n’est qu’un jour de la tienne, mon ciel n’est pas plus haut qu’un brin d’herbe naissant. Je ne suis rien, j’aspire à la grâce parfaite, j’avoue que c’est grande folie. Mais qu’importe à mon coeur aimant ? L’espoir me tient, me tire et pousse, ne me laisse point en repos. Il occupe toute ma vie. Je veux lui obéir sans faute et la mort ne me sera rien si elle me prend sur mon chemin, à la poursuite des gazelles. »
Henri Gougaud Paramour