L’éclat d’un rayon de soleil, la fougue d’un tableau, la douceur d’une chanson, le profil d’un passant : qui n’a jamais ressenti la magie de l’émotion esthétique ? Un instant suspendu, une évidence inexplicable, un sentiment de transcendance… Les propos qui suivent sont adaptés d’une interview du philosophe Charles Pépin.

La première force de la beauté est d’être le jaillissement soudain d’une présence d’absolu au milieu du quotidien. A partir d’éléments ordinaires elle déclenche en nous une émotion profonde, qui a le pouvoir de nous arracher quelques instants au flot de nos pensées et de nos activités.


L’émotion esthétique est une rencontre, par définition non prévisible. Il faut donc accepter de se laisser surprendre, tout en se mettant en capacité de l’accueillir.
L’émotion esthétique a le pouvoir de nous ouvrir à la diversité de l’être. A son contact, nous nous découvrons plus grands, plus petits, plus sensibles, plus violents… Elle développe aussi notre empathie envers d’autres visions du monde et notre envie de partage. Comme si l’expérience de la beauté créait une connexion à la fois à soi et à tout le reste, un pont entre le subjectif et l’universel.

Devant le spectacle de la beauté, on sent bien que quelque chose nous échappe. Elle est l’indice d’un monde harmonieux, sensible, intelligent, qui ne se réduit à ce qu’on en connaît. L’expérience esthétique lève le voile sur cet invisible… Et nous approche du mystère même de la vie : cette puissance d’inventivité pure. Elle nous apprend aussi à aimer sans comprendre ; car si le désir de savoir élève l’homme, l’obsession de tout expliquer risque de le rabaisser – pire, de lui interdire le bonheur.

Nous ne disons jamais « c’est beau parce que » ; nous ressentons juste que c’est beau. L’expérience esthétique nous relie à une forme de savoir intuitif, intérieur, indépendant des opinions et des pensées. En écoutant en nous une forme de présence et d’harmonie, suscitée par la beauté, nous arrêtons de raisonner pour résonner, nous renouons avec une intelligence sensible dont nous avons particulièrement besoin, dans un monde en profonde mutation. Aujourd’hui, la tradition ne nous guide plus, les experts se trompent sans cesse, les critères rationnels de jugement habituels sont de moins en moins opératoires. Nous avons donc besoin de renouer avec notre force d’intuition.

Pour faire plus de place à la beauté dans nos vies, il n’y a pas de méthode ni de savoir à acquérir. Il suffit d’ouvrir nos yeux et nos oreilles, de nous faire confiance, de ne pas avoir peur de ce que l’émotion esthétique va éveiller en nous, ni de ce qu’elle a à nous dire. En revanche, il y a besoin d’un éveil de la sensibilité. Plus on fréquente la beauté, plus on la voit ; plus on s’ouvre à différents types de beauté, plus on sera sensible à des choses particulières. Il faut donc multiplier les occasions d’en faire l’expérience. C’est une histoire, un parcours. L’émotion esthétique n’est pas un luxe de gens cultivés mais un moyen, accessible à tous, de vivre plus intensément.

Adapté à partir de
https://www.inrees.com/articles/Charles-Pepin-La-force-mysterieuse-de-la-beaute/

By Gerard